Yves Guilbault

En entendant Satie

Il y avait la forêt, tout proche.
Sur elle, mon regard et ma pensée glissaient,
portés par l’interprétation, réitérée, des Gymnopédies.

« Samedi prochain », disait-elle…
Accord en Ré mineur…
Des arbres droits, des arbres debout, couchés, figés.
Des arbres droits, couchés, debout. Debout ! Debout !
Regard élevé, regard lointain, images captées, fugitives mais présentes, encore, mémoires constantes et ravivées du regard qui se tourne, saisit, à l’écoute…, et recommence…
Des arbres, essences diverses, ceux-là groupés, qui se connaissent et se disent référence, tandis que ceux-ci, penchés, se font révérence.
Ces fleurs, en grappes, inflorescences allongées, par milliers, de ces trembles debout, dressés, élevés si haut vers le ciel !  Comme elles sont délicates !
Parmi eux, d’autres, tilleuls qui scandent et accueillent le fil du temps. Temps haché, mais structuré, donné à saisir, par l’écoute, mais aussi par l’effet produit sur le regard… Conscience du temps fort et du temps faible, conscience du debout et du dedans, tout autant.
Tronc couché, très couché, ré mineur, accords de base, lignes de basse… et ces élévations, qui pointent, ces sons qui élèvent, qui énergisent et font porter haut le regard vers le ciel, à travers les frondaisons qui, de plus en plus, quoique doucement, s’habillent. À peine bourgeons, il y a quelques semaines, puis déjà ouverts, folioles, puis samares, en grand nombre !
Chatoiement… Taffetas et organdi, dentelle, velours et berlingot !! Pourquoi pas ?!! Mais qu’est-ce que Catherine dira ?!!
Troncs couchés, bas, dans le creux, stables, couchés.
Troncs penchés, qui s’avancent, sur la droite… Vont-ils courir ?
Et en même temps, tous ceux-là s’élancent, droits, plongeant vers le ciel, où ils se savent désirés, attendus, entendus dans leur soif. De lumière !
Regards de l’enfant confiant, émerveillement intrigué. Intrigué je suis, toujours, puis maintenant, dans l’écoute de cette musique, et dans l’abandon du regard, écoute des accords, écoute de mon corps, flots de conscience qui rythment le Temps !
— Le temps m’est donné, et, sourire sur les lèvres, attention légère et vive, conscience libre qui se laisse porter par ces accords et cette mélodie répétée, répétitive mais sans cesse renouvelée, donnant à l’hier du moment l’impression du déjà-vu et du bientôt à venir et déjà là, boucle parfaite qui donne à croire que la conscience, en vagues mouvantes, n’est que prétexte, invitation à l’ouverture, signe d’appel de l’Éternité.
Frange fragile, mais concentrée, cristallisation sensible du Premier Souffle, l’Éternel, toujours et en tout lieu.
« Samedi prochain, disait-elle, s’il fait beau, je jouerai du piano ! »
C’était maintenant ! La 2e Gymnopédie. Et elle continue…